Collection Villa Vigarani Guastalla
Pour la première fois, Ceramiche Marca Corona invite le grand public à découvrir 250 pièces uniques de la collection Villa Vigarani Guastalla
Marca Corona est fier de présenter Entre cour et usine : l’histoire de la céramique de Sassuolo, l’exposition permanente de la collection Villa Vigarani Guastalla, organisée en collaboration avec Gallerie Estensi de Modène, dans le Palais ducal de Sassuolo. Depuis le 24 juillet 2020, jour de l’inauguration officielle, et pour les cinq années à venir, cette précieuse collection sera en libre accès pour les habitants de Sassuolo et tous les visiteurs venus de l’étranger qui souhaitent connaître l’histoire du pôle céramique et de Marca Corona, de 1741 au début du 20e siècle.
L’acquisition de la collection Villa Vigarani Guastalla par Marca Corona a été motivée par la volonté de mettre en valeur le patrimoine de la céramique de Sassuolo et fait également suite à l’inauguration du musée de l’entreprise « Galleria Marca Corona » en 2010 et aux activités constantes de l’entreprise pour la promotion de la culture locale de la céramique.
Salles de l’exposition Entre cour et usine, au Palais ducal de Sassuolo
La collection exposée au Palais ducal, née de l’esprit pionnier du collectionneur et entrepreneur en céramique, Villiam Tioli, et de la collaboration de l’historien Francesco Liverani, réunit des pièces uniques et de grande valeur, représentatives de la production locale de majolique, dont Marca Corona a été l’un des premiers et principaux acteurs. Cette acquisition de grande valeur artistique a permis à Marca Corona de réunir de nombreuses pièces appartenant à sa propre histoire et venues s’ajouter à la collection de pièces du musée de l’entreprise, retraçant un parcours idéal entre la cour ducale et l'usine, et fournissant une vue d’ensemble très complète sur l’histoire du pôle de la céramique et de Marca Corona.
Inauguration de l'Exposition "Entre Cour et Usine"
24 Juillet 2020
« Le double parcours entre cour ducale et usine permet au public d’acquérir une vision approfondie et exhaustive de l’histoire de notre pôle industriel, unissant le patrimoine de l’histoire de l’entreprise à une collection privée représentative de la production du territoire. Notre défunt président et professeur Cirillo Mussini, promoteur du musée de l’entreprise qui lui a été dédié, serait fier de cette initiative venue enrichir la valeur historique de notre collection et renforcer encore davantage la collaboration de Marca Corona avec le territoire », a déclaré M. Lelio Poncemi, le PDG de Ceramiche Marca Corona, présent à l’inauguration qui s’est tenue le 24 juillet 2020 avec les représentants de l’administration publique locale.
L’exposition comprend plus de 250 pièces uniques, réalisées entre la moitié du 18e siècle et le début du 20e siècle par les meilleurs artisans de Sassuolo et des alentours. Les nombreuses pièces anciennes exposées deviennent de véritables objets parlants, à travers la parole des personnages de l’époque et leur comparaison avec des objets contemporains d’usage quotidien, pour souligner le dialogue permanent entre le passé et le présent, à la découverte de l’histoire de la céramique du territoire.
Salle 1: Il Dallari
Salle 1: Il Dallari
Bonjour et bienvenue à toutes et à tous !
Les musées ne sont pas uniquement des lieux de contemplation de la beauté : ils sont également le reflet de la vie quotidienne et, par les objets qu’ils exposent, rendent compte de l’histoire d’un lieu.
C’est le cas de cette collection de 250 pièces réalisées à la main, qui met en lumière l’histoire de la faïence, blanche et polychrome, développée dans la région de Sassuolo au XVIIIe et au XIXe siècle.
Vous découvrirez, dans les treize vitrines d’exposition, une sélection d’objets raffinés qui vous raconteront l’évolution stylistique et technologique de la plus ancienne manufacture de Sassuolo.
Une fabrique qui naît en 1741 d’une société par actions fondée par des entrepreneurs issus de la bourgeoisie locale et par quelques nobles. Le duc François III d’Este apporte très vite son soutien à l’initiative. Il est d’ailleurs engagé depuis plusieurs années dans le renouvellement de l’habitat à Sassuolo, ainsi que dans la restauration de la demeure où s’établit la manufacture et dans l’agrandissement de son parc. La société constituée passe rapidement aux mains de la famille Dallari. Trois générations se succèdent avant que la faïencerie ne soit cédée au comte Ferrari Moreni. Quelques années avant l’unification de l’Italie, la fabrique est rachetée par la famille Rubbiani, qui permettra à la manufacture de passer d’un mode de production artisanale à une logique plus industrielle. Les Rubbiani seront en effet parmi les premiers en Italie – sinon les premiers – à produire des carreaux de revêtement pour les murs et les sols.
Après avoir traversé le grand atrium d’entrée qui donne sur la cour d’honneur, vous vous retrouvez dans ce qui faisait partie, au milieu du XVIIIe siècle, de l’appartement de représentation du prince héréditaire, devenu le duc Hercule Renauld III d’Este. Ici débute notre voyage.
Salle 1: Il Dallari
Vitrine 1
Nous commencerons par un fragment de jatte en terre cuite remontant au XIIIe siècle, exposé sur l’étagère supérieure. Cet objet de facture simple est représentatif du travail des maîtres potiers de l’époque, les mastri vasari également appelés boccolari.
Cette production peu élaborée s’est développée parallèlement à l’introduction, à Sassuolo, d’objets d’une certaine qualité, produits ailleurs et reconnaissables à leurs motifs héraldiques et leurs décors géométriques, floraux et zoomorphes, incisés au stylet et rehaussés au pinceau avec des pigments d’oxydes métalliques.
Longtemps caractérisée par ce type de pièces, la production locale finit par s’en affranchir grâce à François III d’Este, duc de Modène, Reggio et Mirandola qui, au milieu du XVIIIe siècle, accorde à un groupe d’entrepreneurs privés de Sassuolo le monopole de la production d’une « majolique ordinaire blanche et peinte ». L’affaire tourne court, mais la manufacture est cédée à Giovanni Maria Dallari qui, en homme pragmatique, fait accélérer le processus de production et appelle à ses côtés des artisans d’Imola, de Faenza et de Lodi, dépositaires du « secret de la blancheur et de l’émail ».
La production de faïences monochromes a certainement constitué une des plus belles réussites et un des plus grands succès commerciaux de la Fabbrica Dallari.
Durant cette période, la production se distingue par sa grande variété : plats munis d’élégantes poignées en forme de nageoires de poissons, assiettes creuses et plates, plats de service, soupières ou rafraîchissoirs. Le magnifique carreau de cheminée, exposé au centre, remonte aux années 70 du XVIIIe siècle. Pour en savoir plus sur l’histoire de cette pièce… UNE MANUFACTURE LIÉE À LA COUR.
Le décor de ces faïences a lui aussi une histoire, dont le cours a parfois évolué au gré du style et des modèles introduits par des peintres de passage à Sassuolo. Les différentes formes produites à l’époque nous sont connues grâce au catalogue Dallari, qui mentionne des céramiques à décor « de grand feu », un motif dit « de l’oiseau » ou un encore un « bouquet de fleurs avec tiges retombantes ».
Vitrine 2
La production gagne petit à petit en qualité. Elle rencontre un immense succès commercial et impose progressivement son propre style. Giovanni Maria Dallari s’entoure de son fils, Giovanni, qui fait lui-même appel à deux artistes de talent : son ami peintre Pietro Lei, qui avait acquis une certaine notoriété à Pesaro, et Leopoldo Finck, un grand céramiste de Bologne originaire de Vienne.
Sur la deuxième étagère est présenté un motif à fleurs dit « à la française ». Le service rappelle le style des pièces produites par la manufacture Levantino d’Empoli. Sous-estimées pendant longtemps, les affinités stylistiques de la manufacture de Sassuolo avec la production d’Empoli sont aujourd’hui l’objet d’une étude plus approfondie.
Sur les dernières étagères de la vitrine est exposé un autre service composé de deux soupières et d’un élégant rafraîchissoir à bouteilles, caractérisé par un imposant motif ornemental de couleur pourpre dit « décor de fleurs et de feuilles rassemblées par un nœud ». Si vous voulez en savoir plus… UN VERRE DE VIN
Vitrine 3
La troisième vitrine présente différents motifs ornementaux. Le décor le mieux représenté est le style appelé « fleurs et rocaille », auquel sont associées, sur certaines pièces, des figures entières ou des demi-figures.
Les œuvres les plus remarquables ont été réalisées par le livournais Pietro Giraud : ainsi en est-il du grand plat godronné, des deux grands vases ornés de guirlandes et de têtes de boucs, et surtout du plat à poisson. Pour en savoir plus sur les secrets de ce plat somptueux… QUAND LA BEAUTÉ IMITE LA NATURE.
L’étagère supérieure permet de découvrir différents types d’assiettes et de plats, un ensemble de petits vases à col trompette, un huilier en faïence blanche orné de « petites branches fleuries » ou de « petites fleurs variées ».
Vitrine 4
Avec l’arrivée à Sassuolo de l’artiste talentueux Pietro Lei, qui avait exercé à Pesaro la fonction de « premier peintre » de la manufacture Casali e Callegari, la production évolue vers de nouvelles formes et de nouveaux décors, comme ces assiettes à bord chantourné décorées al ticchio – également appelé ticchiolo – exposées sur la première étagère. L’expression, formée de deux termes relatifs à la vigne, décrit un décor figurant une plante grimpante et trois fleurs écloses soutenues par une base rocheuse. Ce thème ornemental, introduit selon toute probabilité par Pietro Lei, répondait aux goûts de l’époque pour les céramiques d’inspiration orientale et notamment japonaise.
Nous devons également à Pietro Lei les deux plats exposés sur la première étagère, dont un de forme ovale d’une dimension insolite.
Observez également ce magnifique plat à bord contourné muni de deux poignées en forme de nageoires. Il faisait partie de la collection « fleurs et figures » mentionnée dans une liste de prix retrouvée dans les archives de la manufacture. Pour en savoir plus… FLEURS ET AUTRES MERVEILLES
Au centre se trouve un des plus beaux plats marescialle réalisés à Sassuolo. LE PLAT LE PLUS BEAU DU ROYAUME.
Comme cela avait été le cas avec Pietro Lei, l’arrivée en 1788 à Sassuolo de Leopoldo Finck ouvre un nouveau chapitre dans l’histoire de la manufacture. L’évolution la plus notable est certainement l’introduction de la technique dite « de petit feu » ou « de troisième feu » mentionnée dans le fameux « livret des secrets » conservé aujourd’hui à la Galleria Marca Corona. L’élégante vaisselle exposée sur la dernière étagère permet d’apprécier les nuances de couleurs obtenues grâce à cette nouvelle technique de décor.
Sala 1: Il Dallari
UNE MANUFACTURE LIÉE À LA COUR
Carreau ancien de cheminée, faïence à engobe vernissée dite « demi-majolique », années 70 du XVIIIe siècle.
(Fabbrica Dallari)
Une note datée de 1753 mentionne la production de 283 pièces similaires, peintes à la main et destinées à garnir les cheminées de l’Appartement stuqué du Palais ducal de Sassuolo.
Ces carreaux ont été réalisés par la toute jeune faïencerie dirigée par Giovanni Maria Dallari, à laquelle François III d’Este a accordé quelques années auparavant le monopole de la fabrication d’une « majolique ordinaire blanche et peinte ». L’aventure de la manufacture vient de commencer…
Ce genre de carreau a eu énormément de succès. Il a été reproduit pendant des décennies et a été décliné en plusieurs variantes.
Il ne s’agit pas d’une faïence stannifère – recouverte d’une glaçure à base d’oxyde d’étain –, mais d’une terre cuite revêtue d’un enduit blanc, appelé « engobe », puis d’une glaçure transparente servant à protéger la surface de la céramique sans en altérer les dessins et les couleurs. Ce double revêtement permettait de réduire la porosité de la terre cuite et, grâce au blanc de l’engobe, rendait possibles les décors peints ou incisés.
Sala 1: Il Dallari
UN VERRE DE VIN
Rafraîchissoir à bouteilles, faïence stannifère, seconde moitié du XVIIIe siècle.
(Fabbrica Dallari)
Ce rafraîchissoir de table à couvercle cylindrique et à large pied, comme les deux soupières voisines, s’inspire des rafraîchissoirs en argent les plus raffinés du XVIIe siècle.
Richement décoré, il présente notamment un bouquet de fleurs et de feuilles entouré d’un ruban couleur pourpre, ainsi que des motifs floraux polychromes en relief.
Il était d’usage de disposer des rafraîchissoirs sur les tables. On les remplissait de glace, de neige ou d’eau froide, et on y plongeait les bouteilles de vin. Un rafraîchissoir était en général partagé par deux convives.
Cet exemplaire est une des plus belles pièces produites à l’époque de Giovanni Dallari, fils de Giovanni Maria, l’un des premiers directeurs de la manufacture.
Notaire, habile céramiste, mais aussi poète, auteur de théâtre et homme politique, Giovanni Dallari a ouvert la faïencerie à différentes influences en faisant appel au célèbre peintre Pietro Lei et au céramiste d’origine viennoise Leopoldo Finck.
Le savoir-faire atteint par les artisans de la manufacture est tel, durant cette période, que certaines pièces en deviendront indémodables. Ce rafraîchissoir en est une bonne illustration.
Sala 1: Il Dallari
QUAND LA BEAUTÉ IMITE LA NATURE
Plat à poisson, faïence stannifère, années 60 du XIXe siècle.
(Fabbrica Dallari)
Qu’est-ce que l’émerveillement sinon un vif sentiment d’admiration mêlé de surprise ?
Au XVIIIe siècle, les faïenceries remettent à l’honneur la mode, née à la Renaissance, de s’inspirer de la nature.
Ainsi sont réalisés des services figurant des éléments végétaux comme des légumes – citrouilles ou choux par exemple –, mais aussi des éléments zoomorphes – poules, dindes, faisans, canards, oies, têtes de sangliers, cochons et cerfs. Les arts de la table évoluent et atteignent un niveau de raffinement sans précédent.
Ce plat, muni d’un couvercle en forme de grondin perlon flanqué de deux imposantes nageoires et rehaussé de décors en relief peints, témoigne de cette finesse d’exécution.
L’œuvre a certainement été réalisée par le scultor celebre livournais – et sans doute d’origine française – Pietro Giraud. Artiste génial à l’imagination débordante, l’homme se montre également instable et tourmenté. Il travaille pour différentes manufactures, à Lodi, Naples, Faenza et Florence, avant d’intégrer la manufacture de Sassuolo, en 1765, comme maître auprès des jeunes apprentis. Mais il n’y reste que quelques mois et, comme ailleurs, finit par s’en aller, abandonnant cette fois sa propre femme pour s’installer dans la ville de Nove di Bassano.
Malgré la brièveté de son passage à Sassuolo, l’artiste a laissé quelques œuvres au style facilement reconnaissable, comme des figurines de Chinois dansant – dont une partie est aujourd’hui au Museo Civico d’Arte de Modène et l’autre conservée dans une collection privée – ou un magnifique « surtout de table » figurant Neptune – également conservé dans une collection privée –, copie de la fontaine dessinée par le Bernin pour le Palais ducal de Sassuolo.
Sala 1: Il Dallari
FLEURS ET AUTRES MERVEILLES
Plat ovale dit marescialla, faïence stannifère, autour des années 80 du XVIIIe siècle.
(Fabbrica Dallari)
Nous sommes à la fin du XVIIIe siècle. Giovanni Maria Dallari s’entoure de son fils Giovanni, qui fait lui-même appel à son ami Pietro Lei, « premier peintre » de la manufacture Casali e Callegari à Pesaro.
Le service exposé ici permet d’apprécier tout le talent de cet artiste. C’est le cas en particulier du plat à bord chantourné muni de poignées en forme de nageoires. Cet objet fait partie de la collection « fleurs et figures » mentionnée dans une liste de prix établie à l’époque.
Les décors puisent dans divers univers, souvent imaginaires : demi-figures, cavaliers, animaux, putti, bergers, nymphes, hippocampes, divinités mythologiques ou figures de couples, qui prennent vie sur des plats et des vases de formes et de tailles variées. Les pièces présentent parfois, en leur centre, des bouquets de fleurs polychromes – tulipes, anémones, bleuets, myosotis ou arnica des montagnes.
Ces décorations laissent apparaître deux types d’exécution : des fleurs sans contour appelées fiori fini, et des fleurs et figures délimitées par une ligne de contour tracée au brun de manganèse.
LE PLUS BEAU PLAT DU ROYAUME
Plat ovale (marescialla) dit « à la saxonne », muni de poignées en forme de renards, faïence stannifère, après 1782.
(Fabbrica Dallari)
Viennois installés à Bologne, Leopoldo Finck et son frère Giuseppe sont à l’origine d’une production de vaisselle très prisée au milieu du XVIIIe siècle, essentiellement dans les milieux aisés.
Mais les deux frères se disputent et, en 1788, Leopoldo part pour Sassuolo où il travaillera pour Giovanni Dallari. Leopoldo lui transmet alors la technique de la cuisson dite « de petit feu », également connue sous le nom de « troisième feu », comme en témoigne le curieux « livret des secrets » exposé aujourd’hui à la Galleria Marca Corona.
Giovanni Dallari et le peintre Pietro Lei insufflent à la manufacture un air nouveau, non seulement en l’ouvrant à certaines innovations technologiques, mais aussi en lançant de nouvelles formes illustrées par la série de plats ronds exposée dans la partie supérieure de la vitrine.
Leopoldo ne reste à Sassuolo qu’une courte année. Il y réalisera toutefois des œuvres d’une facture exceptionnelle, comme ce vase rectangulaire à bords mouvementés muni de poignées en forme de renards, très probablement exécuté avec Pietro Lei.
La forme du plat est élégante, mais c’est avant tout le décor qui frappe par son raffinement. Les fleurs, comme la rose dite « à cratère », les œillets et la tulipe présentent les mêmes caractéristiques d’exécution et sont probablement attribuables à la main de Lei.
Salle 2: Le Compte Gio Ferrari et Giovanni Maria Rubbiani
Salle 2: Le Compte Gio Ferrari et Giovanni Maria Rubbiani
La faïencerie de Sassuolo a été rythmée, tout au long de son histoire, par différents changements de direction et par une évolution constante de sa production. C’est ce que nous allons découvrir dans cette nouvelle salle.
Après la mort de Giovanni Maria Dallari, la fabrique est reprise par son fils, Giovanni, mais le gouvernement ducal révoque, en 1791, le privilège de production accordé à la manufacture quelques décennies auparavant. Cette malheureuse décision, lourde de conséquences, provoque une crise au sein de la faïencerie, accentuée par l’arrivée des troupes françaises en 1796. La fabrique, qui a pris le nom de Fabbrica Vecchia, passe aux mains des fils de Giovanni : Onorio, Odoardo et Costano. La production de pièces en faïence stannifère se poursuit, mais l’attention se porte de plus en plus sur la faïence fine. La présence, dans les ateliers, de maîtres renommés et de peintres talentueux assure à la fabrique un certain succès. Cependant, de nombreux déboires financiers, l’entrée de nouveaux actionnaires, la fusion de la Fabbrica Vecchia avec la manufacture dirigée par Pietro Lei, une succession de locations et des sous-locations rendront intenable une situation économique déjà tendue.
La réinstallation à Modène de l’archiduc d’Autriche-Este, en 1815, ravive l’espoir, pour les Dallari, de voir leur ancien privilège rétabli. Ce privilège leur sera à nouveau octroyé, certes, mais avec bien moins d’avantages qu’auparavant.
Salle 2: Le Compte Gio Ferrari et Giovanni Maria Rubbiani
Vitrine 5
Cette première vitrine rend compte de la qualité des pièces produites malgré la crise. Ainsi en est-il, par exemple, du vase en faïence blanche à col torsadé, muni de deux anses en forme de têtes de lions.
La fabrique ne parvient pas à se relever de ses difficultés financières et de nombreux artisans la quittent pour rejoindre d’autres manufactures, comme celle de Scandiano, emportant avec eux leur précieux savoir-faire.
Un nouveau changement intervient à l’automne 1835 : la manufacture, alors proche de la faillite, est rachetée par le comte Giovanni Francesco Maria Ferrari Moreni.
Ce dernier fait preuve d’un certain sens de l’entreprenariat et des affaires, qui le poussera vers des choix productifs et artistiques pertinents. Les pièces produites à cette époque sont caractérisées par un raffinement assez formel, en harmonie avec les exigences d’une société conservatrice influencée par la mode des villes sous domination autrichienne.
Le comte fait appel à de nouveaux modeleurs et à de nouveaux peintres formés, pour partie d’entre eux, à l’Académie des Beaux-Arts de Modène. Il encourage par ailleurs l’usage de pâtes innovantes, que certaines études récentes ont permis de classer parmi les meilleures de la péninsule à cette époque. La glaçure, et notamment l’engobe blanc, gagne également en qualité et atteint, grâce à l’augmentation de la quantité de plomb, la lumière qui fera sa renommée.
Ce petit vase de forme elliptique, daté du second quart du XIXe siècle, en est un bon exemple. UN BLANC ÉCLATANT
Vitrine 6
La collection Ferrari Moreni se distingue par une production extrêmement linéaire et sobre, parfois inspirée des chinoiseries de l’époque et de la mode, alors très répandue, pour l’Antiquité. Les pièces réalisées privilégient les décors floraux bichromes, blancs et bleus, associés à des frises de feuilles ou de baies de laurier ; les motifs héraldiques ; les couronnes comtales ou encore les paysages en médaillons.
Le bleu et le blanc, couleurs de la maison de Habsbourg-Este, rappellent les liens qui unissaient alors la manufacture à la cour. Parmi les objets exposés ici, on remarquera l’encrier en forme de sarcophage, Ô TEMPS ! SUSPENDS TON VOL…, la petite amphore d’inspiration antique L’ART DE LA PROPAGANDE et la veilleuse démontable UNE LUEUR DANS LA NUIT.
Vitrine 7
Au centre de la troisième étagère, un haut vase cylindrique d’apothicaire rappelle le départ de certains peintres de Sassuolo vers d’autres manufactures. Tel a été le cas, en particulier, de l’artiste Terenzio Rizzoli, originaire de Pesaro, auteur de nombreuses chinoiseries raffinées au cours des dernières années de la période Dallari. Rizzoli quitte la manufacture Ferrari Moreni en 1837 et rejoint le petit atelier de Lodovico Bocelli à Scandiano, où il signera ses œuvres de ses propres initiales : T.R.F.
Deux autres types de pièces, de grande valeur, illustrent par ailleurs l’évolution, partout en Europe à la fin du XVIIIe siècle, de l’art de dresser les tables. De nouveaux objets apparaissent sur les nappes, comme ces petites tasses à café CAFÉ ET TASSES DÉLICATES et ces porte cure-dents inspirés de la commedia dell’Arte QUAND METTRE LA TABLE DEVIENT UN ART.
Vitrine 8
La manufacture va connaître un nouveau rebondissement. Entre 1847 et 1854, le céramiste et entrepreneur Giovanni Maria Rubbiani rachète les deux principales faïenceries alors en activité à Sassuolo : la Fabbrica dite « della Terra rossa », de Contrada Lei, et la Fabbrica Vecchia. La production de céramique dans la ville se retrouve donc à nouveau réunie sous une seule et même direction. Rubbiani s’entoure de fortes personnalités qui rendront possible un virage décisif de la production vers des motifs et des modes inspirés du passé : son fils Luigi, sculpteur, ainsi que le peintre de talent et futur directeur de la fabrique Domenico Bagnoli (1824-1889) originaire de Corrège.
Le plat à barbe et les divers pots d’apothicaire exposés sur la première étagère sont représentatifs de cette évolution POUR UNE BARBE BIEN TAILLÉE.
Après la mort de son fils tant aimé, Luigi, Giovanni Maria décide de transmettre ses biens à ses autres fils : à Carlo, l’aîné de la fratrie, revient la Fabbrica Vecchia, qui prend alors le nom de Fabbrica Carlo Rubbiani ; son frère don Antonio, quant à lui, prend la direction de la Fabbrica della Terra Rossa dont quelques plats de cuisson dits pignatte sont exposés sur la dernière étagère.
Carlo et don Antonio s’investiront l’un et l’autre dans l’amélioration des conditions de travail des ouvriers, tout en soignant l’aspect artistique de la production et en développant la formation des artisans sur le lieu de travail. Ils organiseront, pour leur personnel, des rencontres avec des peintres et des modeleurs de renom, qui ouvriront la fabrique à une esthétique plus contemporaine et à des procédés de fabrication innovants.
Vitrine 9
La production se diversifie, laissant se mélanger différents styles et matériaux pour donner vie à des pièces élaborées et souvent inspirées de la Renaissance. Cette tendance décline néanmoins avec les années, pour laisser place à des motifs plus floraux et à des objets au décor plus commun.
Les pièces exposées dans cette vitrine sont emblématiques de la variété de la production Rubbiani : un tabouret de type orientalisant, typique de la première phase de la production Bagnoli, et une colonne monumentale octogonale réalisée par le peintre florentin Carlo Casaltoli et le modeleur Silvestro Barberini. Cette colonne était destinée à un des appartements de représentation du Palais Foresti de Carpi et avait été commandée par l’industriel Pietro Foresti, spécialisé dans la culture du chanvre. UNE COLONNE AU CHARME DANNUNZIEN
Le processus d’unification est achevé depuis quelques années seulement et ces deux pièces reflètent les goûts d’une clientèle locale bourgeoise, encore peu encline à la nouveauté.
Vitrine 10
La gamme de production Rubbiani s’ouvre à des objets empreints d’éclectisme, un courant très en vogue dans l’Italie du Risorgimento. Les faïences de Sassuolo sortent petit à petit de leur cadre strictement régional et sont présentées dans différentes expositions provinciales et nationales, mais aussi dans les expositions internationales auxquelles est conviée la toute jeune nation italienne.
Les œuvres présentées dans cette vitrine rendent compte de la grande variété de cette production : d’un côté des consoles, très prisées à l’époque, de l’autre un plat rond figurant Garibaldi et son épouse Anita – une scène alors très à la mode – assorti à un vase à long col de style moyen-oriental. Ces deux ensembles de pièces sont décorés selon la technique anglaise de la décalcomanie, un procédé qui permet de transposer, sur un support, une image peinte ou imprimée. Observez également cette paire de consoles en forme de satyres, de style néo-Renaissance, modelées et peintes avec soin. ON Y POSERAIT PRESQUE UN VAS
Vitrine 11
La soupière et le grand plat de service présentés ici sont caractéristiques du style Second Empire né en France dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Ces pièces ont été réalisées par l’artiste Vittorio Neri, également connu pour avoir décoré dans un style néo-Renaissance quelques portiques du centre de Modène. Il en est de même de la jardinière réalisée par le modénais Silvestro Barberini, inspirée vraisemblablement des Fiancés de Manzoni.
Notez enfin le surtout de table en forme de panier, objet original qui a peut-être servi de porte-journaux ou de porte-objets. LA CÉRAMIQUE D’USAGE QUOTIDIEN
Vitrine 12
D’autres œuvres de Silvestro Barberini sont présentées ici, comme ce surtout de table figurant un putto assis sur un coquillage, ou ce vase appliqué de fleurs d’arum en haut relief, qui est probablement l’œuvre « vériste » la plus aboutie de cet artiste.
Les objets peints par Carlo Casaltoli frappent également par leur beauté, comme ces plats d’apparat aux bords richement décorés ou cette assiette à soupe en porcelaine représentant un apothicaire ou un alchimiste.
La pièce la plus impressionnante de cette vitrine reste toutefois le grand vase en faïence stannifère orné de grotesques et muni de poignées en faïence fine. L’UNION FAIT LA FORCE.
Vitrine 13
De cette union artistique entre Barberini et Casaltoli naîtront d’autres objets remarquables, comme ces surtout de table représentant, pour l’un, deux amants, et pour l’autre une scène champêtre figurant une jeune paysanne flanquée de dindes.
C’est également à Casaltoli que nous devons la décoration, dans un style liberty, des premiers carreaux de revêtement produits par la manufacture. Après son départ de Sassuolo et son retour à Florence, cet artiste deviendra un des illustrateurs et un des affichistes les plus en vue de l’époque. Il réalisera aussi à Florence, pour les ateliers Salvini, quelques assiettes décorées dans le style européen le plus en vogue du moment. Sa mort prématurée, en 1905, mettra malheureusement un terme à sa riche et brillante carrière.
Vers la fin du XIXe siècle, la manufacture a toutes les cartes en main pour amorcer une profonde mutation : à l’exposition organisée à Bologne en 1888 et, plus encore, à celle de Rome l’année suivante, sont présentés à la fois des plaques signalétiques et des échantillons des premiers carreaux modernes en faïence. Cette évolution marque de manière décisive l’abandon de la production artisanale et l’entrée de la faïencerie dans une logique de fabrication plus industrielle. Dès lors, toute sa production sera orientée vers le carreau, devenu la pièce maîtresse de l’industrie céramique à Sassuolo. AVÉNEMENT DU CARREAU MODERNE ET ÉMERGENCE D’UN PÔLE INDUSTRIEL À SASSUOLO
Salle 2: Le Compte Gio Ferrari et Giovanni Maria Rubbiani
UN BLANC ÉCLATANT
Petit plat de forme elliptique ayant peut-être appartenu à un service dit da puerpera, faïence fine, deuxième quart du XIXe siècle
(Fabbrica Ferrari Moreni).
La manufacture connaît des difficultés financières et, en 1836, elle passe des frères Dallari au comte Giovanni Francesco Ferrari Moreni.
Pour éviter la faillite, ce dernier mise sur des modèles classiques ou produits dans le passé, et sur la production contemporaine savonaise, anglaise et surtout vénitienne.
Issu de la haute noblesse de Modène, il fait preuve d’une ténacité inattendue et d’un certain sens de l’entreprenariat. Il réorganise la production en faisant appel à de nouveaux modeleurs, ainsi qu’à des peintres formés à l’Académie des Beaux-Arts de Modène.
Il suggère l’emploi de pâtes innovantes et encourage la production de faïences fines, dont les artisans de la fabrique connaissent le procédé depuis plusieurs décennies. Des études récentes ont d’ailleurs montré que la faïence fine de Sassuolo figurait à l’époque parmi les plus raffinées de la péninsule.
La glaçure gagne également en qualité et, grâce à l’augmentation de la quantité de plomb dans la pâte, le blanc obtenu atteint la brillance et le soyeux qui le rendront célèbre.
La manufacture Ferrari Moreni produit une collection d’objets linéaires, sobres et élégants, qui répond aux goûts stylistiques de la famille archiducale. Au plat exposé ici était associé un « bol à consommé » de forme elliptique. L’ensemble a probablement formé un service da puerpera, que les familles nobles offraient à une femme enceinte avant l’accouchement.
Salle 2: Le Compte Gio Ferrari et Giovanni Maria Rubbiani
Ô TEMPS ! SUSPENDS TON VOL...
Encrier en forme de sarcophage, faïence fine, années 30 du XIXe siècle.
(Fabbrica Fontebasso de Trévise ou Fabbrica Ferrari Moreni)
Cet objet semble rappeler à celui qui l’admire que l’écriture a le pouvoir de suspendre le cours du temps, et que les mots survivent à ceux qui les écrivent.
Il s’agit d’un encrier en faïence fine composé de trois éléments. Le couvercle figure un jeune homme pensif assis, tenant dans sa main une faucille – symbole du temps qui passe – et adossé à une amphore porte-plume.
L’intérieur de l’encrier est divisé en trois compartiments destinés respectivement à la poudre, au sable et à l’encre. Sa base à piédouche mouluré est décorée de festons, de masques en relief et de pieds de caprins. La base et une partie du couvercle sont rehaussées de marbrures bleues.
Cet objet, à la forte charge symbolique, appartenait à une famille aristocratique de Modène. On a donc pensé qu’il avait été produit à Sassuolo, mais plusieurs études portent à croire qu’il aurait en fait été réalisé dans les ateliers de la fabrique Fontebasso, la plus célèbre manufacture de céramique que comptait Trévise au XIXe siècle.
Des analyses récentes portant sur d’autres objets de la collection ont pu mettre en lumière l’influence des manufactures vénitiennes, notamment d’Este et de Trévise, sur la production Ferrari Moreni.
L’ART DE LA PROPAGANDE
Petite amphore d’inspiration antique, faïence fine, troisième décennie du XIXe siècle.
(Fabbrica Ferrari Moreni)
L’intérêt pour l’antique et l’archéologie gagne la production Ferrari Moreni, avec un certain retard néanmoins par rapport à d’autres manufactures.
Cette petite amphore, emblématique de la mouvance néoclassique propre à cette époque, présente des reliefs inspirés de modèles caractéristiques d’Herculanum. On remarquera le groupe de danseuses disposé en frise, ainsi que les anses en volutes aux décors en relief, ornées de deux médaillons.
L’attrait pour l’Antiquité se retrouve dans de nombreuses gammes décoratives et témoigne des nouveaux choix esthétiques de la manufacture de Sassuolo.
Cette tendance stylistique, amorcée à la fin du XVIIIe siècle, suit en réalité les inclinations et peut-être les volontés de la cour archiducale réinstallée à Modène après la Restauration.
Marie-Béatrice de Savoie, archiduchesse dotée d’un certain talent pour la peinture, figure en effet parmi les principaux inspirateurs de cette évolution. Comme présidente de l’Académie des Beaux-Arts, elle a joué un rôle essentiel dans l’orientation des choix stylistiques de l’institution.
Le duché de Modène est à l’époque un des États les plus réactionnaires de la péninsule, et les arts appliqués deviennent pour son gouvernement un instrument de propagande. Homme de cour, le comte Ferrari Moreni est en quelque sorte le porte-parole de la maison archiducale au sein de la manufacture qu’il dirige. Les affinités stylistiques de la faïencerie de Sassuolo avec la production de la manufacture Fontebasso de Trévise, ville alors sous domination autrichienne, n’ont donc rien d’étonnant.
UNE LUEUR DANS LA NUIT
Veilleuse démontable (trois éléments), faïence fine, deuxième quart du XIXe siècle.
(Fabbrica Ferrari Moreni)
L’électricité et le confort de la vie moderne se répandent petit à petit dans le duché. Emblématique d’une époque en passe de disparaître, cet objet est donc d’une beauté particulière.
Ce type de veilleuse a été très en vogue des dernières années du XVIIIe siècle à la fin du XIXe siècle.
Il présentait une double fonction : assurer un éclairage, même de faible intensité, pendant la nuit, et préserver la chaleur d’une boisson, comme une tisane.
Une veilleuse était en général composée de plusieurs éléments : une théière munie d’un couvercle – ici manquante – ; une base cylindrique sur laquelle on posait la théière ; un godet pouvant servir de bougeoir ou de lampe à huile ; enfin un encrier dans sa partie inférieure.
Caractéristique du style Empire tardif de la manufacture Ferrari Moreni, cette œuvre cylindrique s’inspire des modèles de la manufacture Fontebasso de Trévise, reconnaissables à leur riche répertoire blanc et bleu composé de festons, mascarons, décors en claire-voie, palmettes peintes et figures de harpies.
Salle 2: Le Compte Gio Ferrari et Giovanni Maria Rubbiani
CAFÉ ET TASSES DÉLICATES
Tasses à café, faïence fine, deuxième quart du XIXe siècle.
(Fabbrica Ferrari Moreni)
Des sources historiques mentionnent la production de tasses en majolique dès la fin du XVe siècle et tout au long du siècle suivant. Il s’agit à l’époque de petits godets bas et évasés, munis ou non d’un couvercle. Lorsque le café est introduit sur la péninsule italienne, au XVIIe siècle, on le sert dans un premier temps dans des tasses sans anses.
La soucoupe se diffuse plus tardivement. Avant d’être un support, elle sert d’abord de base pour refroidir le café. La boisson est donc versée sur cette petite coupelle, puis bue.
Cet usage, quelque peu curieux, de consommer le café à l’aide d’une soucoupe disparaît lentement pour laisser place à la tasse, plus pratique, qui devient à son tour un vecteur de style et de raffinement.
Les soucoupes et tasses à café exposées ici en sont une bonne illustration. De forme cylindrique, elles appartenaient à différents services de table et se distinguent par leur riche décor : entrelacs de fleurs blanches et bleues, images de l’Orient inspirées des chinoiseries du XVIIIe siècle, festons néo-classiques ou encore paysages.
La forme cylindrique des tasses, tout comme celle des anses, rappelle la céramique produite à Pesaro ou à Venise.
QUAND METTRE LA TABLE DEVIENT UN ART
Porte cure-dents, faïence fine, vers 1846.
(Fabbrica Ferrari Moreni)
Partout en Europe, l’art de dresser les tables connaît une évolution considérable à la fin du XVIIIe siècle. Sur les nappes apparaissent de nouveaux objets en porcelaine ou en argent.
Ces pièces insolites restent un temps le privilège des plus fortunés, mais, grâce à la faïence stannifère puis à la faïence fine, dont la pâte est plus facile à modeler, leur diffusion gagne progressivement différentes couches de la population.
On voit se diffuser des objets tels que les pots à moutarde, les saupoudreuses à épices et les sucriers, les burettes à huile, les salières, les porte-couteaux et surtout les porte cure-dents. Le cure-dents, attesté dès l’Antiquité, apparaît aux yeux de la population comme un instrument d’hygiène buccale, réalisé pendant longtemps en bois ou façonné dans la racine d’une plante aromatique.
Le comte Ferrari Moreni introduit ces objets dans la production de la manufacture. La liste générale des prix de la fabrique établie pour l’année 1846 mentionne par exemple un ensemble de figurines inspirées de la commedia dell’arte, réalisées en faïence fine blanche ou polychrome et ayant fonction de cure-dents. Trois versions de cet objet sont proposées : « Istrice », « Arlequin » ou « Spagnoletto ».
Un des personnages du trio exposé ici a été peint en couleurs et sa posture est différente des autres. Les deux figurines qui lui sont associées, également en faïence fine et sorties l’une et l’autre du même moule, présentent quelques différences dues aux retouches à la main apportées avant la cuisson.
Quelques pièces du même genre sont conservées au Museo Civico d’Arte de Modène.
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POUR UNE BARBE BIEN TAILLÉE
Plat à barbe, faïence stannifère, troisième quart du XIXe siècle.
(Fabbrica Ferrari Moreni)
Au XIXe siècle, le développement d’accessoires de rasage plus modernes et moins dangereux permet la diffusion de coupes de barbe de plus en plus sophistiquées, notamment les favoris et les moustaches retroussées.
La pratique du rasage, favorisée par l’émergence des premiers rasoirs en acier et par l’industrialisation de la production du savon, se fait dorénavant au moyen d’un plat spécifique.
La pièce exposée ici est de forme ronde. Elle présente un marli très large et une échancrure semi-circulaire conçue pour être placée sous le menton et permettre ainsi le rasage.
L’objet n’était pas destiné aux barbiers, mais bien aux hommes, dans leur vie quotidienne.
Les plats à barbe étaient en général associés à un broc à eau, qui reprenait les mêmes éléments décoratifs développés sur le plat. Le marli du plat exposé ici présente un bandeau quadrillé agrémenté de petites croix.
Ce motif a connu un fort succès, y compris dans d’autres manufactures. On le retrouve dans de nombreux services de table produits à Sassuolo.
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UNE COLONNE AU CHARME DANNUNZIEN
Colonne porte-plante, faïence stannifère, dernier quart du XIXe siècle.
(Sassuolo, Fabbrica Carlo Rubbiani)
L’unification des différentes régions d’Italie favorise l’organisation d’expositions nationales et provinciales. La manufacture Rubbiani, alors dirigée par Domenico Bagnoli puis Carlo Casaltoli, fait un bond qualitatif notable et la production suit de plus en plus l’évolution de la mode.
C’est le cas en particulier des pièces monumentales d’ameublement en faïence polychrome, inspirées de la Renaissance, mais aussi des carreaux de revêtement aux décors variés.
L’engouement pour le carreau céramique est immense à l’époque, et c’est en fait toute la céramique qui entre de plain-pied dans l’art de l’ameublement, surtout dans les demeures de la grande bourgeoisie.
Cette colonne en est un exemple. Elle était composée, à l’origine, de quatre éléments distincts, dont un vase qui a malheureusement été perdu.
Le premier bloc, de forme octogonale et peint en bleu outremer véritable, est surmonté d’une imposante couronne de fleurs. Sur cette base s’appuie le fût concave de la colonne, orné de grotesques raphaélesques, du blason de la famille Rubbiani et d’une guirlande de têtes d’angelots en haut relief logées dans de petits clipei ceinturés de fleurs et de feuilles.
Cette colonne, au programme décoratif complexe, est attribuée à Carlo Casaltoli. D’autres œuvres de cet artiste sont conservées à la Galleria Marca Corona et au Museo Civico de Modène.
Sur la partie supérieure du fût, une plaque octogonale, entourée d’un anneau en forme d’écrou, fermait le bloc sur lequel reposait jadis un vase.
Autre élément intéressant, cette pièce a été commandée par les Foresti, des nobles de Carpi devenus industriels et grands propriétaires terriens, dont est issu le célèbre collectionneur d’art Pietro Foresti. La ville de Carpi a conservé l’élégant palais de cette famille et la colonne provient précisément de cette demeure, comme le rappelle une annotation portée sur l’inventaire des biens du palais dressé en 1893 : « Une colonne surmontée d’un grand vase de la manufacture Rubbiani de Sassuolo. Magnifique. Payée 450 lires. »
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ON Y POSERAIT PRESQUE UN VASE...
Paire de consoles figurant des satyres, faïence stannifère, fin des années 50/début des années 60 du XIXe siècle.
(Fabbrica Giovanni Maria Rubbiani)
Figures du répertoire mythologique grec, les satyres sont des créatures mi-hommes mi-bêtes présentant un corps d’homme affublé d’oreilles de caprins, d’une queue, de pattes et parfois de cornes de bouc.
Ces consoles, modelées avec soin et rehaussées de couleurs vives, en reproduisent la forme de la tête et les traits du visage. Ce type d’objet a rencontré un certain succès au milieu du XIXe siècle. Les deux consoles exposées ici pourraient avoir été exécutées par Luigi Rubbiani, le troisième fils de Giovanni Maria Rubbiani qui était, depuis 1854, propriétaire des deux faïenceries alors en activité à Sassuolo.
Luigi, diplômé de l’Académie des Beaux-Arts de Modène en modelage et en sculpture, réalisera personnellement de nombreuses pièces, souvent inspirées de deux courants très en vogue dans une Italie à peine unifiée et en pleine mutation : l’éclectisme et l’historicisme. Ces objets ne sont pas sans rappeler les somptueuses majoliques de la Renaissance qui avaient donné à la céramique italienne ses lettres de noblesse.
Luigi meurt prématurément laissant sans père de nombreux enfants, qui seront adoptés par son frère, don Antonio. La faïencerie passe aux mains de Domenico Bagnoli, originaire de la ville de Corrège, qui prend alors la direction de la Fabbrica Vecchia.
Salle 2: Il Conte Gio Ferrari e Giovanni Maria Rubbiani
LA CÉRAMIQUE D’USAGE QUOTIDIEN
Surtout de table en forme de panier, peut-être également utilisé comme porte-journaux, faïence fine, dernier quart du XIXe siècle.
(Fabbrica Carlo Rubbiani)
La manufacture Rubbiani, tout en poursuivant et en étoffant sa collection de pièces en céramique, élargit sa gamme de production en y introduisant des objets d’ameublement et de décoration.
Toute une série d’objets sortent ainsi des ateliers de Sassuolo et sont vendus à tous les prix : décors de table, pièces d’ornement ou simples bibelots. Conformes aux goûts du public de l’époque, ils peuvent sembler kitsch à nos yeux contemporains.
Ce panier, peut-être porte-journaux, est caractéristique de cette production : il s’inspire des modèles de sacs réalisés par les artisans vanniers de Carpi, alors très à la mode dans la région de Modène. Dans ces ateliers de vannerie sont également réalisés d’élégants chapeaux tout aussi prisés que les célèbres chapeaux de paille florentins.
Cet art très particulier de la vannerie, développé à Carpi à partir du XVIe siècle, consiste à extraire, des troncs de saules et de peupliers, de longs copeaux de bois de longueur, largeur et épaisseur aussi identiques que possible.
Le développement de la mécanisation permet une production à grande échelle de ces fibres végétales qui, une fois tressées pour former de longs brins, sont utilisées pour confectionner des chapeaux et des paniers.
Le succès de ces chapeaux légers, peu coûteux, imperméables et capables de protéger du soleil de la plaine padane, dépasse les frontières de la péninsule grâce aux expositions nationales et internationales organisées à l’époque. Il rend nécessaire une meilleure organisation de la chaîne de production, qui favorisera l’émergence, après la Deuxième Guerre mondiale, d’une industrie textile dans la région.
Salle 2: Le Compte Gio Ferrari et Giovanni Maria Rubbiani
L’UNION FAIT LA FORCE
Grand vase ornemental, faïence stannifère et faïence fine (anses), années 80 du XIXe siècle.
(Fabbrica Carlo Rubbiani)
Nous sommes dans les années quatre-vingts du XIXe siècle et la production de céramique prend un nouveau tournant.
L’usine, dirigée par Carlo Rubbiani, fait appel à des peintres et à des modeleurs expérimentés et talentueux, qui vont signer leurs pièces comme s’il s’agissait d’œuvres d’art.
Le vase exposé ici témoigne de la production de cette période, marquée par la collaboration fructueuse entre deux artistes : le modeleur et peintre modénois Silvestro Barberini et le peintre florentin Carlo Casaltoli.
Élève de l’Académie des Beaux-Arts de Modène, Barberini rejoint la manufacture Rubbiani vers 1885, peu après l’arrivée à Sassuolo de Casaltoli. Nous lui devons l’exécution des anses de ce vase.
Les deux artistes réaliseront ensemble quelques-unes des plus belles œuvres monumentales produites à Sassuolo à cette époque.
On ne s’étonnera donc guère que Carlo Casaltoli ait suivi, par la suite, une brillante carrière comme affichiste publicitaire, et que Silvestro Barberini soit devenu un des sculpteurs émiliens les plus connus de la fin du XIXe siècle.
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AVÉNEMENT DU CARREAU MODERNE ET ÉMERGENCE D’UN PÔLE INDUSTRIEL À SASSUOLO
Plaques et carreaux muraux, faïence stannifère, fin du XIXe siècle/premier quart du XXe siècle
(Fabbrica Carlo Rubbiani et autres)
Le carreau « moderne » naît vers 1840 à Wedgwood, en Angleterre, avec la mise au point, par Richard Prosser, d’une méthode de pression à sec permettant de réduire les temps de séchage et de limiter les risques de déformation en phase de cuisson.
Ce procédé, joint aux avancées technologiques acquises par la fabrique grâce à la production de plaques signalétiques, encourage les Rubbiani à se lancer dans la fabrication de carreaux de revêtement. Ainsi, lorsque Carlo Rubbiani meurt, en 1891, la fabrique de Sassuolo est à l’avant-garde de la production industrielle de carreaux de faïence. Le carreau redevient un élément décoratif capable de couvrir de vastes superficies, comme le rappellent certains panneaux décoratifs exposés dans la Galleria Marca Corona, ainsi que les parois du caveau de la famille Rubbiani dans le cimetière de San Prospero à Sassuolo.
Le lancement officiel du carrelage à Sassuolo remonterait à l’Exposition de Bologne en 1888 et surtout à l’exposition nationale de 1889 consacrée à l’art céramique et à l’art du verre, organisée par le Musée Artistique et Industriel de Rome. Le choix fait par l’usine Rubbiani de présenter des carreaux ornementaux de revêtement pour les murs et les sols, plutôt que des vases et des objets de décoration, laisse les autres exposants perplexes, mais suscite la curiosité du public.
L’entrée progressive de la faïencerie dans une logique de production industrielle exige un effort économique considérable et rend nécessaire le renouvellement profond de sa direction. L’expérience acquise par les Rubbiani se révèlera toutefois déterminante dans la naissance et le développement d’un pôle régional de la céramique.